Lily - « make them know you »

LILY WEBER

shosugartown ©

Lily Weber, ça sonne moche. Pourtant, Lily, c’est jolie, puis Weber, c’est plutôt classe et respectable comme nom. C’est l’ensemble qui cloche. Vingt et un ans pour m’habituer et j’arrive toujours pas à l’apprécier. Y’a même pas de diminutif à Lily, la joie pour trouver des variantes. Y’a que Jess qui m’a tendrement offert le surnom Willy. À l’époque, j’trouvais ça chouette, j’étais comme la grosse baleine noire et blanche du film, aujourd’hui, c’est simplement mon surnom. Toute manière, à Rosewood y’a pas beaucoup de Lily. Ou du moins, y’en a aucune qui reste. Pour ma part, j’ai l’impression que y’a rien à l’extérieur de Rosewood pour moi. Née à Rosewood, élevée à Rosewood. Me reste qu’à clore le chapitre avec ma mort ici. Heureusement, Dieu a été assez généreux pour m’offrir quelque chose. J’arrive peut-être pas à dessiner ni à chanter, mais j’écris. Pas des romans ni des poèmes, j’écris des répliques. J’fais vivre des personnages sur papier par des paroles. Ça semble peut-être iréel, mais dès que j’aurai mon diplôme en cinéma, j’filerai à Hollywood pour débuter ma carrière de scénariste.

THE SUN STILL SHINES TODAY

Je tourne la page couverture avec délicatesse, découvrant la première photo sur laquelle j’apparais. Ma mère est debout, de profil et a la main posée sur son gros ventre. Un sourire illumine son visage et je ne peux m’empêcher de rire doucement à l’allure de ses vêtements. La mode de l’année 1988, de l’année avant ma naissance, un échec avec un grand « e ». J’accélère dans mon feuilletage des pages, découvrant des millions de photos sur lesquelles j’arbore la même tronche avec des vêtements différents. On voit quand même l’évolution, l’apparition des cheveux, des dents. Je prends une pause sur une page sur laquelle ne se trouve qu’une seule photo centrée. Mes yeux se perdent dans les souvenirs.

DÉBUT DU FLASHBACK

Agenouillée dans ma cabane de draps, je vide la batterie de ma lampe de poche pour éclairer le cahier qui repose face à moi. Mon crayon griffonne les pages de mes lettres attachées parfaites. Ma mère s’incruste dans mon environnement, probablement pour me dire de venir la rejoindre pour le dîner et à califourchon, s’intrigue de ce que je fais.

MAMAN – « Qu’est-ce que tu fais, ma puce ? »
LILY – « J’écris. »
MAMAN – « Et t’écris quoi ? »
LILY – « Titanic deux. »
MAMAN – « Mais Jack est mort,non ? »
LILY – « Oui, c’est devenu un Mr. Freeze. Mais je l’aimais pas moi Jack. J’ai envie que Nicole Kidman prenne sa place. »
MAMAN – « Avec Rose ? »
LILY – « Avec Kate Winslet, ouais. »

Maintenant que je revis cette scène, je suppose que c’est le moment où ma mère a compris que j’étais gay. Le silence était revenu, rien n’avait vraiment changé, même si ma mère avait dû revoir mon avenir en entier après cette petite conversation innocente. J’étais ce que j’étais et je suppose que mes parents l’avaient toujours su.

FIN DU FLASHBACK

J’abandonne mon visage d’enfant de onze ans pour poursuivre la chronologie de ma vie. Les pages se tournent et je replonge dix ans plus tôt dans ma vie amusante et innocente. Puis débute l’adolescence. La période où j’ai tout essayé; à commencer par les mèches dans les cheveux, les culottes allumettes, les sacs en peau de crocodiles et un bon nombre d’amassis de cochonneries semblable. Puis viennent les multiples photos en compagnie de Jess, affectueusement surnommé Dick. Encore une fois, mon esprit se perd dans les vapes alors que je revis une scène commune, mais qui définit tellement bien nos liens. Faut dire qu’avec Jess, c’est depuis longtemps et ça restera à jamais.

DÉBUT DU FLASHBACK

RACHEL – « Depuis quand elle est là, elle?! »
JESS – « Eumm j’en sais rien. »
LILY – « Hé-oh, j’viens d’arriver, on s’calme. »
JESS – « B’jour. »
RACHEL – « Quoi? C’est tout?! »
LILY – « T’inquiète, il t’aurait chassé de la maison que j’sois là ou pas. »
RACHEL – « Mais de qu’est-ce qu’elle parle, c’est qui d’ailleurs. »
LILY – « Bah j’suis la femme de sa vie. »

J’avais étiré un sourire à cette réplique que je voulais mordante et alors que je siègeais toujours aussi calmement sur le fauteuil inconfortable de la chambre de mon meilleur ami, la jeune femme avait grogné, patientant pour que Jess la défende ou réplique quoi que ce soit à cette remarque relativement déplacée. À moitié indifférent, le jeune homme venait de traverser la pièce et tout en marchant avait balancé – pour mon plus grand plaisir – une remarque qui mettrait à terre sa colocataire d’une nuit.

JESS – « J’vais sous la douche. »
RACHEL – « T’es vraiment l’pire des trous d’cul. J’me tire. »

Elle s’était extirpée du lit avec vitesse, enfilant ses vêtements par-dessus ses sous-vêtements sans y porter attention. Et, les bras chargés de tout et n’importe quoi, elle venait de quitter la pièce alors que je lui offrais un petit « salut » de la main. Le bruit de ses pas se poursuivis jusqu’à ce qu’elle claque la porte et le silence revint. Jess venait de repasser le cadre de porte, un petit sourire complice au visage.

JESS – « T’es chanceuse que jl’aie pas vraiment apprécié, elle. »
LILY – « Je le savais. »
JESS – « Et comment t’as fait pour le savoir, dis?! »
LILY – « Elle était chez toi. »
JESS – « Et? »
LILY – « Bah celles que t’aime bien, tu les amènes pas chez toi.»
JESS – « Pourquoi? »
LILY – « Parce que tu sais que y’a aucune chance que je débarque chez elle et que j’gâche tout. »
JESS – « C’est logique… »

FIN DU FLASHBACK

Un sourire reste gravé sur mes lèvres et j’aboutis finalement à la page désirée. Une page vide, prête à recevoir mon présent. Je soulève le plastique dans un bruit léger et y glisse une photo. Les couleurs semblent moins ternies que celles des précédentes et je redépose le plastique en y faisant glisser ma main pour en réduire le nombre de bulles d’air. Mes yeux clignent face au visage que j’observe attentivement. Je la connais depuis peu, mais ses traits m’obsède toujours autant.

DÉBUT DU FLASHBACK

J’ouvre la porte, pénètre dans l’appartement en faisant le plus de bruit possible. J’aime pas jouer les subtiles et découvrir Jess encore dans l’action, du coup j’annonce ma présence avant d’aboutir dans le cadre de porte de sa chambre. Heureusement pour moi, aujourd’hui il est sous la douche. J’avance jusqu’au bout du couloir, balance un de ses gilets sur la chaise inconfortable qui décore sa chambre avant de réaliser une silhouette dans le lit. Toujours gagnante dans les coïncidences, c’est à ce moment qu’elle s’agite, à deux doigts d’émerger du sommeil. Je fige, silencieuse et observatrice comme jamais. Elle se redresse, le drap cachant le nécessaire même si j’ai un aperçu plus que global de sa silhouette. Les yeux endormis, je lui offre un sourire compatissant même si je sais que les questions vont venir.

RYAN – « Allô. »
LILY – « Bon matin. »

J’ai aucune idée de qui c’est. Une autre conquête, ça c’est certain. J’étire un sourire, alors qu’elle semble perturbée par le simple fait que je sois là. C’est toujours comme ça de toute manière. Je m’appuie contre le cadre de porte, les bras croisés.

RYAN – « T’es sa coloc’? Ou… »
LILY – « À temps partiel, si on veut. J’suis l’amie. Probablement la seule fille qu’il connaît qui a jamais cédé à ses yeux charmeurs. Dommage de voir que t’es plus dans l’groupe. »
RYAN – « Ça en valait la peine. »
LILY – « Il est parfait. Lui manque juste les seins et les hanches. »

Elle hausse les sourcils, acceptant d’un hochement de tête ma petite révélation et garde le silence. Je me redresse sur mes pieds, observant la brunette en tentant de ne pas m’attarder sur la nudité de son dos ou sur la peau de son cou qui semble douce comme du satin. Je cligne des yeux en regardant le sol, complètement déstabilisée et me racle la gorge faiblement avant de rajouter avec un peu plus de confiance.

LILY – « J’ai acheté des muffins. Si t’en veux, t’es mieux de te dépêcher avant que Dick passe à travers la boîte. »

Je me détourne, laissant la jeune femme seule et je rejoins la cuisine pleinement illuminée. J’expire longuement, un peu troublée de ma nouvelle rencontre. J’ai rarement vécu ça; avoir de l’attirance pour une fille hétéro. C’est toujours déstabilisant…

FIN DU FLASHBACK

Mon téléphone sonne et je jette un regard au loin, histoire de localiser l’appareil. J’expire, refermant l’album qui représente les vingt et unes premières années de ma vie et agrippe le combiné, oubliant soudainement le résumé de ma vie qui vient de défiler sous mes yeux.

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